Traduit de l’espagnol par Isabelle Taillandier
La nuit était froide, glaciale. Le vent sifflait, effrayant, furieux. La pluie tombait, tenace, parfois en rafales, parfois en fortes averses. Les deux ou trois fois que Marta s’était risquée près de la fenêtre pour voir si la tempête s’était calmée, la lumière violette d’un éclair l’avait aveuglée. Juste au-dessus de sa tête, semblant démolir la maison, le tapage du tonnerre l’avait horrifiée. Alors que les éléments se déchaînaient avec une plus grande fureur, Marta entendit frapper à la porte. Elle perçut une voix geignarde et pressante qui la suppliait d’ouvrir. La prudence disait à Marta de ne pas l’écouter car, lors d’une nuit aussi épouvantable, aucun voisin honnête n’ose sortir dans la rue. Seules les malfaiteurs et les libertins dépravés sont capables d’affronter les éléments à la recherche d’aventures et de proies. Marta aurait dû penser que celui qui possède une maison, du feu à l’intérieur, à ses côtés une mère, une sœur, une épouse pour le consoler, ne sort pas au mois de janvier pendant une tempête déchaînée, ne frappe pas non plus aux portes inconnues, ne perturbe pas la tranquillité des demoiselles honnêtes et sages. (Le voyageur)
Un des sujets que Pablo Roldán voyait de façon originale, voire choquante, était celui de l’infidélité de l’épouse. Précisons que Pablo Roldán était marié, de surcroît avec une femme de bonne famille, jeune, belle, élégante, qui attirait les regards et volait le cœur de ceux qui la voyaient. Un tel trésor aurait dû rendre vigilant son gardien. Mais Pablo Roldán ne faisait pas seulement étalage d’une confiance aveugle, proche de l’imprudence, il déclarait aussi que la vigilance lui semblait inutile car, ne se considérant pas « propriétaire » de sa belle moitié, il ne se voyait pas dans la situation d’un gardien, comme on garde une vigne, un terrain ou des biens précieux. « Une femme, disait Pablo en souriant, est différente d’un fruit ou d’une liasse de billets de banque car elle possède une conscience et l’usage de la parole. Personne n’a jamais eu l’idée d’accuser une pêche parce qu’un rat l’avait volée puis mangée. La femme est compétente et responsable. (Justice ?)
Emilia PARDO BAZÁN (1851-1921) est une femme de lettres espagnole, introductrice du naturalisme zolien en Espagne. En 1886, elle publie son roman naturaliste le plus célèbre, Le Château d’Ulloa, mais elle est surtout connue pour les quelque cinq cents nouvelles qu’elle a publiées entre 1885 et 1912. Fervente avocate de la revalorisation de la place de la femme dans la société, elle devient en 1916 la première femme titulaire d’une chaire dans une université espagnole.