Traduit de l’espagnol par Isabelle Taillandier
« Vous êtes sûr que c’est elle, monsieur Estrada ? me redemanda l’inspecteur de police, tout en me regardant d’un air grave. Le cadavre est très défiguré à cause du temps passé dans l’eau… Comprenez que nous avons besoin que vous n’ayez aucun doute à ce sujet… » Le corps gonflé de la femme était étendu sur la grève, replié sur lui-même, en position fœtale. Les vagues du reflux léchaient ses pieds nus. Les poissons avaient vidé les orbites, accentuant ainsi l’aspect éploré du cadavre dont les mains étaient croisées sur la poitrine. Bien que ces restes n’aient été qu’un souvenir déformé, à peine une ombre, de la femme que j’avais connue, j’étais sûr que cette triste dépouille était celle d’Amelia Almadana. J’opinai à nouveau. L’inspecteur fit un geste aux policiers qui nous accompagnaient, une multitude de personnes nous entoura. Le juge s’apprêtait à ordonner la levée du corps ; l’inspecteur m’emmena à part, me disant que je pouvais partir mais que je devrais passer au commissariat le lendemain pour faire ma déclaration. (Naufrage)
Martin était sous la marquise de sa maison. Il essayait de scruter les énigmes du silence qui s’était emparé de la nature pendant que les tristes rayons du soleil luttaient désespérément pour échapper aux limites de l’horizon, quand il vit se profiler au loin une silhouette vêtue de noire qui s’approchait à grands pas. Sur le sentier, il vit arriver une femme âgée, mince et menue. Nerveuse, elle ne cessait de regarder à droite et à gauche, comme prise de terreur et de confusion. Elle ne se calma pas, même une fois arrivée devant Martin. « Bonjour Monsieur. » Le retoucheur la salua d’un geste de la tête, la femme poursuivit : « Je vous apporte une vieille photo pour que vous me l’arrangiez. » La femme sortit de sous son châle une photo, la tendit au retoucheur. Quand Martin saisit la photo, un léger frisson parcourut ses épaules. Il l’imputa au malaise avec lequel il s’était levé. Malgré la pâleur du rectangle de papier, provoquée par une exposition continue au soleil, et les taches d’humidité, un garçon de douze ou treize ans le regardait avec un air de défi. Il portait un costume et un élégant chapeau. Il avait l’air si sérieux que Martin ne put s’empêcher de sourire devant tant d’affectation. (Le retoucheur de photos)
María Regla PRIETO (née en 1964) est une universitaire et écrivaine espagnole. Docteure en Lettres classiques, ses travaux de recherche se concentrent sur les procès intentés contre des religieux meurtriers entre les XVIe et XIXe siècles. Elle a publié en Espagne un roman, de la poésie, du théâtre et des nouvelles.