Par un mouvement involontaire, il saisit vivement son lorgnon, le cacha dans sa poitrine, et bientôt sa physionomie reprit son expression habituelle de mélancolie. Ce mouvement n’échappa point aux deux amis, et après les premières phrases du retour, les questions mille fois répétées, les compliments, les reproches, les explications inutiles de lettres perdues ou restées sans réponse, de voyages projetés, d’événements imprévus ; après toutes ces inutilités du passé qui font oublier les faits importants de la veille, M. de Fontvenel dit à son ami : « Depuis quand es-tu aveugle ? Il n’est bruit que de ton lorgnon et de la manière dont tu en uses. Voyons un peu s’il mérite sa réputation ? » (p. 25)
Tout en rêvant à sa nouvelle passion, Edgar alla se placer dans une embrasure de fenêtre pour l’admirer en silence. Mademoiselle d’Armilly, qui le suivait des yeux, vit de loin qu’il s’apprêtait à la lorgner attentivement et, donnant à sa physionomie toute la grâce de l’embarras, elle baissa les yeux. Jaloux de connaître l’impression qu’il avait faite sur elle, Edgar brûlait de lire dans son cœur. Mais hélas ! Voilà ce que cette âme si tendre pensait de lui en son esprit : « C’est le fils du duc de Lorville, il aura soixante mille livres de rente en se mariant. » Oh ! Quel amer désenchantement ! De son esprit, pas un mot ; de sa personne, pas un souvenir. (p. 49)
Après avoir publié des recueils de poèmes, Delphine Gay (1804-1855) collabore dans La Presse, le quotidien fondé en 1836 par son mari Emile de GIRARDIN. Elle y écrit des chroniques culturelles, signées le vicomte de Launay. Parallèlement, elle publie des romans, des contes pour enfants, des pièces de théâtre, trois novellas, et tient un salon réputé, fréquenté par Hugo, Lamartine, Vigny, Dumas, Balzac, Gautier…